Un prodige de banlieue qui débarque en Gironde
La trajectoire de Sylvain Wiltord est celle d’un joueur en constante quête de progression, animé par une hargne de gagner et un flair de buteur affûté. Si le grand public l’identifie surtout pour son but mythique en finale de l’Euro 2000 ou pour ses années fastes à Arsenal, c’est bel et bien sous le maillot au scapulaire qu’il a pris son envol. Et quel envol !
Quand il arrive en provenance du Stade Rennais à l’été 1997, peu sont ceux qui voient en lui l’une des prochaines stars du football français. Pourtant, en deux saisons à Bordeaux, Wiltord va se métamorphoser. Son association explosive avec Lilian Laslandes et l’intelligence de jeu de Johan Micoud permettent aux Girondins de bâtir une attaque redoutable, aussi imprévisible qu’efficace.
Un vent nouveau souffle alors sur la capitale girondine, et dans ce renouveau, Wiltord va jouer un rôle central. Il marque, provoque, distribue… Bref, il fait vibrer Lescure.
La saison 1998-1999 : l’apothéose girondine
Les supporters des Girondins n’oublieront jamais cette saison. Jusqu’à la dernière journée, la lutte pour le titre fait rage avec l’OM de Courbis et d’un certain Laurent Blanc. Et à la fin, c’est Bordeaux qui soulève le trophée, 17 ans après le dernier sacre. Le vent de liberté et d’optimisme qui entoure le club à cette époque est en grande partie alimenté par les performances de Wiltord.
L’attaquant terminera meilleur buteur du championnat avec 22 buts, devenant ainsi le fer de lance d’une équipe conquérante et joueuse. Son doublé lors du match décisif contre le PSG (victoire 3-2) reste encore aujourd’hui dans toutes les mémoires. Un moment de grâce absolue où la rage du garçon de banlieue s’est mêlée à la finesse du joueur de haut niveau.
Ce qu’il y a de magnifique dans cette ascension, c’est son authenticité. Wiltord ne triche pas. C’est un joueur de rue qui a appris à lire les espaces comme d’autres lisent des livres. Il harcèle les défenseurs, casse les lignes, et quand il célèbre ses buts, c’est avec une joie sincère, contagieuse.
Un homme de caractère, un Girondin dans l’âme
Dans le vestiaire, Wiltord n’était pas seulement un buteur. Ses coéquipiers parlent d’un leader discret, mais toujours là pour remettre les pendules à l’heure. Son exigence envers lui-même se transmettait naturellement à l’équipe. Il menait souvent par l’exemple plus que par la parole. Gagner, pour lui, n’était pas une option : c’était une nécessité.
Ce caractère, cette détermination, ont fait de lui un joueur respecté. À Bordeaux, le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Sa côte de popularité était haute, très haute. Car avant d’être un champion d’Europe, Sylvain Wiltord a surtout été un Girondin à 100 %. Pas un simple passage, mais un véritable morceau d’histoire du club.
Et dans une période où le football commence à se conjuguer en millions d’euros, Wiltord, lui, symbolise encore ces années où le talent brut pouvait suffire à écrire les plus grandes heures d’un club. Il était ce type de joueur à qui on pardonne tout un match fantomatique, car il suffisait d’un ballon pour qu’il le transforme en but et fasse chavirer le vieux Lescure.
Un tremplin vers les sommets européens
Son passage à Bordeaux n’est pas seulement une page dorée pour le club. C’est aussi ce qui va propulser Wiltord vers les sommets de sa carrière. L’été 1999, il rejoint Arsenal et entre de plain-pied dans une autre dimension. Sous les ordres d’Arsène Wenger, il va parfaire son jeu, apprendre une rigueur tactique plus poussée, et surtout côtoyer l’excellence européenne.
Mais même sous d’autres cieux, il gardera toujours un bout de Bordeaux en lui. Il ne cessera de rappeler l’importance de son passage en Gironde. Dans plusieurs interviews, il évoque souvent cette période comme la plus « vibrante » de sa carrière. Et on comprend pourquoi. Il y a ce lien invisible entre le joueur et la ville, entre ses accélérations sur la pelouse de Lescure et les clameurs d’un public amoureux de ses couleurs.
Vous croyez aux villes qui catalysent un destin ? Bordeaux a été cette ville-là pour Sylvain. Et il l’a rendue fière.
Des anecdotes de vestiaire qui en disent long
On raconte encore cette petite histoire sur lui : un jour d’entraînement, un jeune défenseur du centre de formation ose lui faire un petit pont. Wiltord ne dit rien. Mais la séquence suivante, il accélère, dribble deux joueurs et inscrit une frappe pleine lucarne. Sourire aux lèvres, il glisse au gamin : « C’est comme ça qu’on répond ». Pas besoin de longs discours. Le message est passé.
Autre moment mémorable, cette fois lors d’un déplacement compliqué à Bastia. L’équipe est menacée par une ambiance hostile dans les tribunes. Wiltord, loin de se démonter, sort un match héroïque, buteur encore une fois. Il dira plus tard : « Ces ambiances, c’est mon terrain. J’ai grandi avec. ». Ses racines populaires, son goût des défis… tout le définissait.
Le legs bordelais
Ce que Wiltord laisse à Bordeaux n’est pas juste un palmarès. Il incarne une époque, une manière de jouer, une passion brute. Chaque fan des Girondins a une image de Wiltord en tête : un sprint côté droit, un crochet dévastateur, une célébration en levant les bras vers le ciel. Il aura été le héros d’un titre qui manquait cruellement au club et au public. Ce trophée de 1999 est autant celui du groupe que le sien.
Et puis, combien d’attaquants passés par Bordeaux peuvent se targuer d’avoir été à la fois meilleur buteur de D1 et champion d’Europe un an plus tard ? Wiltord, lui, peut. Il montre à toute une génération qu’on peut démarrer sur les pelouses de Clamart et finir en héros de l’équipe de France. Mais entre les deux, il faut une étape forte. Pour lui, cette étape, c’était Bordeaux.
Car derrière le champion d’Europe, il y a eu le Girondin. Un attaquant de feu dont les filets des cages de D1 se rappellent encore. Et ça, ici, on ne l’oubliera jamais.
Un joueur à part dans le cœur des supporters
À ceux qui doutent encore de l’impact de Wiltord sur les Girondins, il suffit de se promener aux abords du stade à la veille d’un match important. Les anciens évoquent encore ses exploits avec émotion. Son nom se glisse toujours dans les discussions avec celui des Giresse, Lizarazu ou Dugarry… Et pour cause, il a marqué l’histoire.
Rarement un joueur aura su incarner à la fois l’énergie populaire et l’élégance sur le terrain. Wiltord, c’est cet équilibre fragile entre la force brute et le geste classe, entre la rage intérieure et la lucidité du dernier geste. Autrement dit, un joueur Girondin par essence.
Alors oui, l’histoire continue, le club évolue, des talents arrivent et repartent. Mais certaines figures restent. Elles traversent le temps. Sylvain Wiltord est de celles-là. Et au fond, n’est-ce pas cela, être une légende ?