Jean Pierre Tokoto et son passage méconnu au Girondins de Bordeaux

Jean Pierre Tokoto et son passage méconnu au Girondins de Bordeaux

Un nom familier, un passage oublié

Si le nom de Jean-Pierre Tokoto évoque davantage un talent américain du basket moderne, les Bordelais férus d’histoire footballistique pourraient être surpris d’apprendre qu’un autre Jean-Pierre Tokoto, camerounais cette fois, a brièvement marqué l’histoire des Girondins de Bordeaux dans les années 1970. C’était avant que les projecteurs soient braqués sur le Parc Lescure, bien avant les années glorieuses et européennes du club au scapulaire.

Son passage à Bordeaux fut court, et pourtant, derrière cette discrétion se cache un pan méconnu de l’histoire des Girondins, et un joueur qui a compté pour le football africain. Penchons-nous sur ce parcours singulier, à l’image du joueur lui-même.

Un Camerounais en avance sur son temps

Né en janvier 1948 à Douala, capitale économique du Cameroun, Jean-Pierre Tokoto fait ses débuts de footballeur dans un contexte bien différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. Le football camerounais est alors balbutiant et se structure peu à peu à la faveur de talents comme Tokoto.

Après avoir évolué chez les Canon de Yaoundé dans son pays natal, il débarque en France à l’aube des années 70. Il rejoint successivement plusieurs clubs de l’Hexagone : l’Olympique de Marseille, le Paris FC, mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse, les Girondins de Bordeaux. Si son passage est discret, il reste marquant pour un club alors en transition.

Bordeaux dans les années 70 : la période des tâtonnements

Lorsqu’il arrive aux Girondins, le club vit une période de mutation. Nous sommes loin des sommets d’Europe. Les Girondins, à l’époque, peinent à s’imposer comme poids lourd du championnat. Le club oscille en première division mais éprouve des difficultés à construire une équipe stable et ambitieuse sur le long terme.

Tokoto rejoint le FC Girondins de Bordeaux en 1975, à une époque où la cellule de recrutement commence à s’ouvrir davantage à l’international, notamment à l’Afrique francophone. L’idée est de donner un second souffle à un effectif qui peine à trouver l’équilibre entre ténacité défensive et créativité offensive.

C’est là, au cœur de ce chantier sportif, que Tokoto va poser ses valises. Milieu offensif technique et élégant, il est réputé pour sa vista, sa capacité à faire jouer les autres et une qualité de dribble plutôt rare à l’époque. Un profil, finalement, très recherché aujourd’hui… Peut-être est-il arrivé trop tôt pour être pleinement reconnu ?

Un passage éclair, mais un impact subtil

Jean-Pierre Tokoto ne portera le maillot bordelais qu’une seule saison, lors de l’exercice 1975-1976. Au total, il dispute une petite quinzaine de rencontres officielles sous les couleurs girondines, pour un but inscrit. Insuffisant pour marquer les esprits collectivement, certes, mais quelques-uns se souviennent encore de ses qualités balle au pied, de ses enchaînements techniques et de son élégance sur le terrain.

À l’époque, la presse locale évoque « un joueur talentueux, mais en décalage avec la rugosité du championnat français ». On peut s’interroger : ce décalage était-il technique ou purement tactique ? Était-ce la faute du système de jeu bordelais, ou simplement le mal du pays pour le milieu camerounais ?

Il ne fait aucun doute que Tokoto n’a pas eu l’environnement idéal pour s’épanouir. L’équipe traverse une saison difficile, les résultats ne viennent pas et les changements d’entraîneur compliquent la stabilisation du onze titulaire. Tokoto, comme d’autres, en paiera le prix.

Après Bordeaux : un retour vers l’anonymat… ou presque

Après son départ des Girondins, Tokoto termine sa carrière en Europe avant de rentrer en Afrique, où il rempile brièvement avec un club local. Mais c’est surtout du côté de la sélection camerounaise qu’il laissera une trace bien plus marquante. Avec les Lions Indomptables, Tokoto participe notamment aux Jeux Olympiques de 1984 comme entraîneur-adjoint… une belle manière de continuer à partager son expérience et transmettre sa passion pour le jeu.

Son héritage est parfois plus visible dans sa descendance : son petit-fils, également prénommé Jean-Pierre Tokoto, est devenu joueur professionnel… mais dans un tout autre domaine : le basketball ! Ancienne recrue des North Carolina Tar Heels, puis joueur de NBA G League et d’équipes internationales, le jeune Tokoto perpétue à sa manière l’excellence sportive familiale.

Pourquoi se souvenir de Tokoto ?

La mémoire des clubs est faite de grandes gloires, de buteurs flamboyants et de gardiens héroïques. Mais elle est aussi peuplée de passages furtifs, de talents incompris, de promesses avortées. Jean-Pierre Tokoto appartient à cette seconde catégorie. Un joueur dont l’élégance technique méritait sans doute un cadre plus stable pour s’exprimer, mais qui, malgré tout, aura foulé la pelouse bordelaise et participé, à sa manière, à la mosaïque que représente l’histoire du FCGB.

Et puis, ne dit-on pas que “chaque maillon, même discret, a son rôle dans la chaîne” ? Tokoto est ce maillon oublié, ce chapitre oublié d’un grand roman footballistique. Il incarne aussi la première vague de joueurs africains venus en France défendre leurs chances, bien avant que cela ne devienne une norme. En cela, il est un précurseur, même si peu nombreux sont ceux qui l’associent aux couleurs marine et blanc.

Des témoignages ténus, mais éloquents

Il n’est pas aisé de retrouver des anecdotes précises sur Tokoto à Bordeaux. Les archives restent minces, les images rares. Pourtant, quelques anciens membres du club se rappellent d’un joueur « très apprécié dans le vestiaire », « toujours souriant et très attaché à son pays et sa famille ». Un coéquipier aurait même confié : “C’était un poète du ballon, mais un peu trop doux pour notre championnat. Il aurait brillé ailleurs.”

Ces paroles résonnent autrement quand on connaît la suite de la carrière de l’homme : formateur, conseiller, éducateur. Peut-être Tokoto n’était-il pas un pur produit de la compétition sans concession, mais plutôt l’artisan d’une autre vision du football, plus technique, plus généreuse… et donc nécessaire.

Petite leçon d’histoire et de transmission

En mettant en lumière ce parcours méconnu, on se rappelle que les Girondins de Bordeaux ne se réduisent pas à Giresse, Tigana ou Pauleta. Il y a aussi ces joueurs venus de loin, fascinés par le championnat français, avides de prouver leur valeur dans un environnement parfois rugueux. Tokoto fut l’un d’eux. Aujourd’hui, alors que le football se mondialise jusqu’à la saturation, revisiter ces destins pionniers a quelque chose de rafraîchissant.

Et il y a dans l’histoire de Tokoto quelque chose de très bordelais, en fin de compte. Un subtil mélange d’exigence, d’élégance, et de rendez-vous manqués. Une trajectoire discrète, mais pleine de dignité, à l’image de beaucoup de figures qui ont façonné l’identité régionale sans tambours ni trompettes.

Dernier clin d’œil : et si on exposait son maillot ?

À l’heure où le club tente parfois de renforcer les liens avec son passé, pourquoi ne pas faire une place à Jean-Pierre Tokoto ? Un maillot exposé au musée du Stade, un article commémoratif dans le programme du match, une interview retrouvée… Ce retour de mémoire serait le moindre des hommages à rendre à ceux qui ont, même brièvement, porté le scapulaire avec passion.

Alors, la prochaine fois que vous déambulerez autour du Matmut Atlantique en évoquant les anciens du club, glissez le nom de Jean-Pierre Tokoto. Peut-être qu’un jour, quelqu’un vous répondra : “Ah oui, lui aussi, il a écrit une ligne de notre histoire”.