Un nom tombé dans l’oubli
Si vous êtes un fidèle des Girondins de Bordeaux ou simplement passionné d’histoire locale, vous connaissez sûrement les noms les plus iconiques du club : Giresse, Tigana, ou encore Zidane pour ses débuts. Mais dans l’ombre des projecteurs, certains visages ont laissé une empreinte significative sans jamais vraiment intégrer le panthéon des légendes. Parmi eux, un nom mérite d’être ramené à la lumière : Jean-Paul Rostagni. Qui était-il ? Et pourquoi son rôle au sein des Girondins mérite-t-il d’être redécouvert ? Suivez-moi – vous risquez d’être surpris.
Le parcours discret d’un homme ambitieux
Jean-Paul Rostagni n’a jamais été un joueur phare ni un entraîneur vedette. Pourtant, il a profondément influencé l’organisation et les choix stratégiques du club au tournant des années 1970 et 1980. Fils d’un artisan d’origine italienne installé à Bordeaux, Rostagni grandit dans le quartier des Chartrons. Passionné de football, il fait ses armes sur les terrains amateurs de la région avant de s’orienter vers des études en gestion et en sciences du sport — une combinaison rare à l’époque.
Son profil atypique attire l’attention des Girondins alors en pleine mutation. Nous sommes au début des années 70, et le club, encore loin de son âge d’or, cherche à moderniser sa structure. C’est là que Jean-Paul fait son entrée, d’abord en tant que conseiller technique, puis rapidement comme coordinateur sportif. Un poste discret mais névralgique.
Un architecte de l’ombre
Gabriel Hachin, ancien entraîneur adjoint des Girondins entre 1973 et 1976, se souvient :
« Jean-Paul était un gars de l’ombre, mais tout passait par lui. Il avait le nez pour repérer des jeunes talents avant tout le monde et savait où investir intelligemment dans la formation. »
Rostagni comprend rapidement que les clubs français doivent prendre exemple sur leurs homologues allemands et néerlandais en matière de formation. Il pousse alors à la refonte de la cellule de recrutement et au développement du centre de formation des Girondins. Ses efforts contribuent à l’émergence d’une génération de joueurs qui marqueront le club dans les années suivantes, notamment Alain Giresse.
Mais ce n’est pas tout. Il milite pour une approche plus scientifique de la préparation physique, introduisant au passage des collaborations avec la faculté de médecine de Bordeaux et les premiers tests physiques systématisés pour les jeunes espoirs du club. À une époque où la musculation et la diététique restaient marginales dans le football français, ses idées paraissaient avant-gardistes, voire farfelues.
Un rôle essentiel dans le renouveau des années 80
Ah, les années 80 ! La décennie dorée des Girondins sous l’impulsion de Claude Bez. Le grand public retient surtout l’image flamboyante d’un club qui brille en Europe, mais peu se souviennent du travail en amont réalisé dès la décennie précédente. Et c’est bien là que le rôle de Rostagni prend tout son sens.
Jean-Paul était notamment de ceux qui ont soutenu activement la nomination d’Aimé Jacquet à la tête de l’équipe, convaincu que ce technicien « cérébral » était l’homme de la situation. Son intuition se révélera juste. Jacquet façonnera une équipe qui combinera technique, rigueur et ambition, incarnée par des leaders tels que Giresse, Battiston ou Tigana.
Sans faire de bruit, Rostagni continue d’agir en coulisse, impliqué dans le staff élargi, chargé du suivi des performances et des relations entre les divers pôles du club : médical, formation, logistique. Entre deux matchs au Parc Lescure, il n’est pas rare de l’apercevoir en discussion prolongée avec les préparateurs ou les kinés.
Pourquoi son apport est resté sous les radars ?
On peut se demander pourquoi, avec un tel parcours, Jean-Paul Rostagni n’a jamais été mis plus en lumière. La réponse tient probablement à son caractère. Discret, humble, presque effacé, il détestait les interviews et ne cherchait pas les honneurs. Pour lui, le football était un travail collectif, et il considérait que son rôle était de « huiler la machine » plutôt que de la piloter.
De plus, avec la montée en puissance de Claude Bez, figure omniprésente et emblématique, certains hommes de l’ombre ont été éclipsés du récit officiel. Rostagni, fidèle à son éthique, ne s’en est jamais plaint. Il s’est tout simplement retiré du football professionnel au début des années 90 pour se consacrer à l’enseignement et à l’accompagnement de clubs amateurs en Gironde.
Une influence toujours palpable aujourd’hui
Chaque fois que le centre de formation des Girondins est mis à l’honneur, c’est un peu de l’héritage de Rostagni qui refait surface. Plusieurs structures d’entraînement et dispositifs de suivi des jeunes instaurés à son initiative dans les années 80 sont encore en place aujourd’hui, parfois dans des versions modernisées.
Dans certaines promotions récentes, des formateurs n’hésitent pas à mentionner son nom devant les jeunes :
« Jean-Paul Rostagni, vous ne le connaissez pas, mais c’est un peu notre ancêtre spirituel », plaisantait un ancien éducateur de la plaine du Haillan, lors d’une session de formation en 2019. »
Son approche holistique de la gestion d’un club – mêlant sport, science, pédagogie et cohésion humaine – fait aujourd’hui figure de modèle, même au-delà du FCGB.
Un modèle pour la nouvelle génération
À l’heure où le football professionnel se transforme à vitesse grand V, il est précieux de revenir sur des figures comme Jean-Paul Rostagni. Il incarne ce football passionné, rigoureux et tourné vers l’avenir – mais sans esbroufe. Une rareté dans un milieu qui glorifie parfois davantage les artifices que l’effort de fond.
Lui qui a toujours privilégié l’intelligence collective à la mise en avant individuelle pourrait bien inspirer une nouvelle façon de penser le sport dans les décennies à venir. Pourquoi ne pas remettre à l’honneur ce type de trajectoire dans les centres de formation et les écoles de management sportif ?
En guise de clin d’œil : où est-il aujourd’hui ?
Installé à quelques kilomètres de Bordeaux, Jean-Paul Rostagni file une retraite paisible aux abords du bassin d’Arcachon. Toujours passionné, il suit encore les Girondins avec attention – même si, de son propre aveu, « ce n’est plus le même football ». Il lui arrive de conseiller de jeunes coaches locaux, curieux de connaître les secrets d’une autre époque.
Lors de la dernière Fête du Club au Haillan en 2022, son nom a été évoqué lors d’une allocution improvisée d’un ancien joueur. Pas d’hommage officiel, pas de banderole, mais les « anciens » présents ce jour-là ont tous hoché la tête avec émotion. Parfois, on n’a pas besoin de statues pour laisser une trace. Il suffit d’avoir marqué des esprits. Et ce, Jean-Paul Rostagni l’a fait, sans jamais claquer la porte du vestiaire avec fracas.
Comme quoi, dans l’histoire des Girondins, les héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit. À bon entendeur.