Guillas Roland, parcours singulier au cœur des Girondins de Bordeaux

Guillas Roland, parcours singulier au cœur des Girondins de Bordeaux

Un nom discret, une histoire singulière

Dans la riche tapisserie de l’histoire des Girondins de Bordeaux, certains noms reviennent inlassablement dans les discussions des supporters : Giresse, Tigana, ou encore Pauleta. Mais au détour des archives, au sein des souvenirs intimes de la génération d’après-guerre, surgit un patronyme que peu connaissent vraiment, et pourtant… Guillas Roland mérite une place, pas sous les projecteurs flamboyants, mais dans le cercle restreint des figures marquantes, atypiques, presque romanesques ayant embrassé la tunique marine.

Roland Guillas ne fut certes pas de ces icônes statistiques qui affolent les compteurs. Et pourtant, son impact, tant dans le vestiaire qu’en dehors, symbolise cette époque du football bordelais où engagement rimait avec modestie, et passion avec fidélité. Plongée dans un parcours hors du commun, reflet d’une époque qui façonna les Girondins autant qu’ils façonnèrent Guillas lui-même.

Originaire du Sud-Ouest, le goût du maillot avant tout

Originaire d’un village des Landes, à quelques enjambées de la côte océane, Roland Guillas grandit dans un univers où le rugby trônait en roi. Et pourtant, c’est le ballon rond qui l’emporte dans le cœur du jeune Roland. À l’époque, dans les années 50, jouer au foot n’avait rien de tendance dans la campagne landaise. Mais il y mettait du cœur, de la hargne, et surtout une élégance qui n’échappa pas aux recruteurs du FC Girondins de Bordeaux, qui le repérèrent lors d’un match amical disputé contre une sélection régionale.

Entré dans le club au début des années 60, Guillas allait y vivre un parcours tout sauf classique. Dans un effectif alors en mutation, tiraillé entre professionnalisation croissante et traditions locales, Roland s’est vite imposé comme un homme de devoir. Polyvalent, il pouvait jouer arrière latéral, voire en milieu défensif en cas de coup dur. Un véritable couteau suisse, dirions-nous aujourd’hui.

Pas de stats clinquantes, mais une constance précieuse

Si les bases de données contemporaines s’étaient intéressées à son nombre de tacles réussis, d’interceptions ou de kilomètres parcourus par match, nul doute que Roland Guillas aurait figuré en bonne place. Mais dans les années 60, point de GPS sous les maillots, encore moins de caméras scrutant chaque geste.

Les témoignages restent pourtant unanimes : Roland Guillas était le genre de joueur sur qui on peut bâtir une équipe. Pas celui qui donne le dernier coup de rein pour une montée décisive, mais celui qui comble les brèches, couvre les erreurs et transmet, sans bruit, la rigueur aux générations suivantes. Une anecdote rapportée par un ancien partenaire donne le ton :

« On savait que si Guillas était aligné, la défense tiendrait. Il criait peu, mais il anticipait tout. Même les attaquants adverses semblaient résignés quand ils voyaient son nom sur la feuille de match. »

Un joueur au service du collectif

Dans une époque où le football n’avait pas encore basculé dans l’hyper-individualisation, les Girondins misaient sur un collectif solidaire. Et dans ce schéma, Roland Guillas trouvait son épanouissement. Il protégeait les jeunes, calmait les tensions dans le vestiaire, et n’a jamais rechigné à s’asseoir sur le banc lorsqu’on le lui demandait — toujours pour le bien de l’équipe.

« Il aurait pu être capitaine », dira un ancien entraîneur, « mais cela ne l’intéressait pas. Il préférait agir dans l’ombre. » Un choix symbolique d’un football de valeurs où la lumière n’était pas une finalité.

Une fidélité sans faille à Bordeaux

Guillas n’a jamais porté d’autre maillot professionnel que celui du club au scapulaire. Une rareté, déjà à l’époque. Tandis que certains joueurs lorgnaient vers des clubs plus prestigieux, il refusait des offres plus lucratives pour rester à Bordeaux. Non par attachement naïf, mais par conviction. Il connaissait le club, ses hommes, ses supporters, et il estimait que sa mission n’était pas finie.

Certains évoquent même une proposition d’un club belge dans les années 66-67, ce qui aurait pu amorcer un tournant dans sa carrière. Mais la réponse de Guillas fut simple : « Je suis bien ici, pourquoi partir ? »

Un après-carrière tourné vers la transmission

Une fois ses crampons suspendus, Roland Guillas ne quitta pas pour autant le giron girondin. Il s’impliqua dans la formation locale, notamment auprès des catégories jeunes. Sa vision du jeu, d’une lucidité incroyable, étonnait ceux qui le côtoyaient.

Il donnait des conseils pratiques, rigoureux mais justes :

  • toujours regarder son partenaire avant de recevoir la balle;
  • gérer son effort pour tenir dans la durée;
  • ne jamais négliger l’adversaire.

Sa plus grande fierté ne fut pas un trophée soulevé (il en remporta un, tout de même, lors de la Coupe Charles Drago de 1965 avec un rôle décisif en demi-finale), mais la progression de jeunes qu’il forma dans les années 70, dont plusieurs touchèrent plus tard à la D1.

L’empreinte d’un joueur resté dans le cœur des anciens

Demandez à un supporter des Girondins ayant connu les tribunes de Lescure dans les sixties : « Que vous évoque le nom Guillas ? » Beaucoup auront ce petit sourire complice, cette petite étincelle dans le regard. Car Guillas représentait cette noblesse silencieuse du joueur dévoué, ce liant indispensable à une équipe équilibrée.

Bordeaux a construit sa légende avec des stars, certes, mais aussi grâce à ces hommes de l’ombre. Et parmi eux, Guillas garde une place de choix. Il est de ceux qui ont permis aux géants d’évoluer dans des conditions idéales. Comme les fondations d’un monument, invisibles mais essentielles.

La mémoire collective des Girondins devrait toujours garder trace de ces profils singuliers. Ce blog, Girondins Retro, s’efforce d’exhumer ces destins presque oubliés, et l’histoire de Roland Guillas constitue un chapitre à la fois modeste et profondément humain de l’épopée bordelaise.

Un écho dans le football d’aujourd’hui ?

En ces temps où le football cultive souvent l’éphémère, le parcours de Roland Guillas propose un contrepoint apaisant. Faut-il toujours être une star pour être utile ? Un nom sur toutes les lèvres pour être respecté ? Guillas répond par l’exemple : non.

Il interpelle aussi notre exigence de supporter. Avons-nous encore la patience d’accueillir des joueurs qui s’inscrivent dans la durée, dans la discrétion, dans la progression patiente ? Peut-être que redonner une place à ces récits est un premier pas vers une forme de réconciliation entre football moderne et valeurs fondamentales du sport collectif.

Un symbole vivant d’un football à visage humain

Roland Guillas n’a jamais fait la une de L’Équipe, mais il incarne à merveille un football honnête, profond, enraciné dans le territoire. Il fait partie de ces visages que l’on croise encore, aujourd’hui, dans les couloirs du Stade Chaban-Delmas lors des matchs anniversaires ou des réunions d’anciens.

Il serre les mains doucement, regarde longuement les jeunes qui montent sur la pelouse, et parfois, l’un d’eux dira : « Il jouait ici avant nous ? Il en impose. » Et on leur répondra : « Oui, et tu ferais bien de t’en inspirer. »

Car à Bordeaux, on n’oublie pas les maçons quand on admire les arches. Et Roland Guillas fut l’un de ces bâtisseurs indispensables, dans l’ombre heureuse de l’olympe girondin.