Un visionnaire au destin unique
Si l’on devait tracer une ligne entre amateurisme et professionnalisme dans l’histoire des Girondins de Bordeaux, elle passerait sans conteste par Claude Bez. Patron charismatique, grand manœuvrier, provocateur assumé… il fut tout cela à la fois. Mais surtout, il a été l’homme qui a transformé le club en une institution phare du football français dans les années 1980. Difficile en effet d’évoquer l’âge d’or des Marine et Blanc sans parler de celui qui, en coulisses, tirait toutes les ficelles.
Né en 1940 à Saint-Augustin, dans la Gironde, Claude Bez n’affichait pas à ses débuts le profil classique du dirigeant sportif. Électricien de formation, entrepreneur dans le BTP à succès, il cultive une identité de self-made-man typiquement bordelais. Et c’est fort de cette assurance qu’il entre, en 1978, dans l’univers bouillonnant du football professionnel : direction, la présidence des Girondins.
Quand Bordeaux devient un grand d’Europe
À son arrivée, le club végète dans un milieu de tableau inconfortable. Le stade Lescure sonne creux, le palmarès prend la poussière. Mais Claude Bez voit grand. Très grand. Et il ne tarde pas à imprimer sa marque. Son premier coup d’éclat ? Faire revenir le mythique Aimé Jacquet en tant qu’entraîneur en 1980. Un choix de cœur et de raison.
Mais Bez ne s’arrête pas là. Sa stratégie : tout miser sur le recrutement de joueurs de talent et structurer le club comme une entreprise. Son réseau, ses relations avec les institutions politiques et économiques de la région, et surtout son flair, permettent à Bordeaux d’attirer des pointures. Tigana, Giresse, Battiston, Lacombe… Des noms qui font frissonner les supporters encore aujourd’hui.
Sous sa houlette, les Girondins deviennent une machine à gagner :
- Champions de France en 1984, 1985 et 1987
- Finalistes de la Coupe de France en 1985 et 1986, avec une victoire en 1986
- Historiques demi-finales de Coupe d’Europe des clubs champions en 1985 face à la Juventus de Platini
Une époque où affronter Bordeaux n’était jamais une partie de plaisir, surtout au Parc Lescure transformé en forteresse imprenable. Le club bordelais était, aux yeux de l’Europe, l’un des adversaires les plus redoutés de l’Hexagone.
Un homme de pouvoir, parfois à double tranchant
Ce que l’on ne peut enlever à Claude Bez, c’est sa capacité à prendre des risques. Il ne craignait pas les critiques. Maniant les médias avec une maestria parfois déroutante, il n’hésitait pas à tacler ses adversaires en public et à imposer son autorité dans les salons feutrés de la FFF ou de la LFP. Son célèbre sourire en coin dissimulait souvent une stratégie bien rodée.
Mais cette mainmise lui attirera aussi des ennemis. On se rappelle de ses mots acides à l’encontre de certains présidents de clubs du Nord ou de ses passes d’armes avec des dirigeants fédéraux. Impossible également d’oublier son influence contestée sur la sélection nationale, notamment lorsqu’il est nommé manager général de l’équipe de France entre 1988 et 1992. Une période de tensions, où les résultats ne suivront pas pour les Bleus, donnant lieu à de vives critiques sur sa gestion et les conflits d’intérêts avec les Girondins.
Du triomphe à la tourmente
L’histoire de Claude Bez ne serait pas complète sans évoquer sa chute. À la fin des années 1980, alors que le club connaît moins de succès sur le terrain, les finances commencent à inquiéter. Des opérations financières floues, des soupçons d’irrégularités, et une enquête judiciaire plus tard, Bez sera condamné en 1990 à deux ans de prison avec sursis et plusieurs centaines de milliers de francs d’amende pour abus de biens sociaux.
Un coup dur pour celui qui avait hissé le club sur le toit du football français. Son retrait de la présidence en 1990 met fin à une ère, et Bordeaux entre dans une période beaucoup plus trouble qui débouchera, quelques années plus tard, sur une relégation administrative.
Même ses plus farouches opposants doivent cependant admettre que sans lui, sans son ambition, sans ses excès parfois, Bordeaux n’aurait probablement jamais atteint de tels sommets.
Un héritage toujours palpable
Aujourd’hui encore, dans les travées du stade Matmut Atlantique ou dans les cafés de la place de la Victoire, le nom de Claude Bez suscite des débats animés. Certains le considèrent comme un magicien du football français, d’autres comme un homme de pouvoir aux méthodes discutables. Mais tous reconnaissent son rôle fondateur dans la structuration durable du club.
Son héritage ? Il est multiple :
- Une place centrale du FCGB dans le paysage footballistique français
- Une relation passionnée et forte avec les supporters
- Un modèle économique précurseur (professionnalisation, merchandising, communication)
- Une exigence de performance jamais démentie depuis
Et comment ne pas évoquer une anecdote savoureuse, racontée par les anciens joueurs ? Lors d’une mise au vert tendue avant un match européen, Bez aurait débarqué dans les vestiaires avec un camembert bien relevé… pour « faire sentir l’odeur de la victoire » ! Déroutant, charismatique, inclassable.
Un personnage romanesque à la bordelaise
Claude Bez, c’était une époque. Celle où les présidents incarnaient davantage que des financiers ou des gestionnaires. Ils étaient des chefs de clan, des figures populaires, adorées ou détestées, mais toujours écoutées. Béarnais d’origine mais Bordelais de cœur, il incarne à sa manière une forme de panache gascon.
Le football a changé – la passion des supporters, elle, ne faiblit pas. Et même si les Girondins peinent à retrouver l’éclat de leurs belles années, l’ombre de Claude Bez plane toujours au-dessus du club. Comme un souvenir indélébile gravé dans la pierre du virage Sud.
Vous êtes du genre à débattre sans fin sur la légitimité de sa gestion ? À revivre encore et encore les matches épiques contre la Juventus ou Dnipropetrovsk ? Ou simplement curieux de comprendre comment Bordeaux est devenu un géant ? Alors asseyez-vous à la table du bistrot le plus proche, commandez un verre de rouge, et laissez-vous conter l’histoire d’un homme qui a fait vibrer toute une ville.